Directeur de salle du restaurant Jean Imbert au Plaza Athénée (Paris 8ème), Denis Courtiade a été élu par deux fois « Meilleur maître d’hôtel du monde », en 2011 et 2019. Engagement, humour, décontraction, pour ce fils d’hôteliers-restaurateurs pour qui l’accueil est plus qu’un art de vivre… c’est une seconde nature. La rédaction de YourDay Le Mag l’a rencontré pour parler de son sens de l’hospitalité et de l’expérience client.
On ne compte plus les distinctions qui ont émaillé votre carrière. Que vous inspirent-elles ?
Denis Courtiade : Je compare souvent ma vie professionnelle à l’ascension d’un escalier. Ces distinctions sont des paliers de reconnaissance essentiels qui me confirment que je suis dans la bonne dynamique et récompensent mes efforts. Mais elles m’incitent aussi à aller encore plus loin puisque le meilleur reste à venir.
C’est ce que vous vous êtes dit lorsque le partenariat qui unissait Alain Ducasse au Plaza Athénée n’a pas été renouvelé et que vous avez dû relever le challenge à l’arrivée de Jean Imbert ?
D.C : Il a bien fallu. L’arrivée du jeune chef Jean Imbert a été un petit tsunami. N’étant pas du sérail, il a été exposé au feu nourri des critiques et moi, j’ai dû repartir de zéro avec une équipe totalement décimée. Au début ce fut rock n’roll ! Mais en 40 ans de métier, j’en ai vu d’autres ! Nous avons relevé le défi et au bout de 9 mois seulement, nous décrochions une étoile au Michelin. Les clients ont suivi, rassurés de constater que notre manière de les recevoir n’a pas changé.
Justement, en 2022 vous avez reçu le Trophée de l’accueil (*). Quels sont selon vous les ingrédients d’un accueil parfait ?
D.C : J’ai coutume de dire que l’enchantement du client passe par celui du collaborateur et de l’accueil, ce sont les 15 premières secondes qui comptent ! Un regard, un signe, vont conditionner le reste de la prestation. C’est un travail d’équilibriste, il faut être à la juste distance. Si vous braquez un client ou que vous manquez d’empathie, des portes vont se refermer peu à peu. On doit lui faire sentir qu’il est attendu (humainement, pas commercialement), que l’on est reconnaissant de le voir pénétrer dans notre espace.
À quoi portez-vous le plus d’attention dès qu’un client franchit le seuil du restaurant ?
D.C : Au fait que la table qui lui est proposée lui convienne absolument. Une fois qu’il a conclu ce pacte avec moi, je sais que c’est la sienne et qu’il ne voudra pas en changer. Ensuite, seulement, intervient le pacte commercial. Je l’écoute attentivement pour savoir ce qu’il attend de nous et ajuste mes suggestions en fonction de la somme qu’il est prêt à dépenser. Pourquoi pas une demi-entrée, si son budget est serré.
Quelles sont les qualités indispensables pour bien accueillir
D.C : Sensibilité, écoute, empathie, amour de l’autre mais aussi éducation car elle est la base de tout ! Ensuite il y a la prestance, l’aura. La personne qui accueille doit le faire de manière incarnée. Le client n’est pas un numéro. En lui posant deux ou trois questions génériques, on devine de quel pays il vient, s’il est ostentatoire ou au contraire discret. Il faut donc être physionomiste, concentré, avoir le listing en tête, les noms des réservations, le volume par table, etc.
« L’enchantement du client passe par celui du collaborateur et de l’accueil, les 15 premières secondes sont déterminantes »
Y a-t-il un accueil type à la française ?
D.C : Entre les pays anglo-saxons et nous, deux styles s’opposent. En France, le savoir-faire est indiscutable car nos écoles hôtelières inculquent aux jeunes un certain maintien, un certain standing. Aux Etats-Unis, le service n’étant pas compris, les pourboires constituent la majorité du revenu de celui qui accueille. Ainsi, plus le maître d’hôtel est aimable, plus il sait qu’il va gagner de l’argent. Ce qui peut induire une fausse complicité, un faux rapport « amical » avec le client.
Accueille-t-on différemment selon la nationalité de la clientèle ?
D.C : Il faut en effet s’adapter. Mieux vaut être doté d’une solide culture internationale afin de connaître les us et coutumes des pays. Sachant qu’un client Américain peut aisément vous gratifier d’une tape dans le dos, manier l’humour et vous adresser de grands sourires complices. À nous d’entrer dans son jeu s’il nous ouvre la porte. Le Japonais, au contraire, est très discret, très connaisseur et ne vous touchera jamais.
Selon vous, accueil et numérique font-ils bon ménage ?
D.C : L’un et l’autre sont compatibles et complémentaires. Le numérique est un support qui permet de se rassurer et de s’organiser… même si l’accueil reposera toujours fondamentalement sur l’humain. Moi qui suis de la génération crayon à papier-cahier-gomme, chaque fois que je dois composer avec un logiciel de réservation différent (nous en sommes au quatrième !), c’est une torture, car l’arborescence change. Mais je m’y fais. Et les données étant de plus en plus perfectionnées, elles nous permettent de connaitre une foule de choses utiles sur le client pour l’accueillir encore mieux. Quand vous vous souvenez de la table qu’il avait occupée cinq ans auparavant ou de son intolérance alimentaire, et qu’en le voyant arriver de loin, vous lui faites sentir de manière délicate, vivante et conviviale que vous l’avez déjà reconnu, vous le touchez forcément.
Quels sont vos petits secrets pour que le convive passe un moment inoubliable ?
D.C : Un supplément d’âme, une pointe d’humour — excellent levier pour dédramatiser les situations délicates et les tensions ! Il faut pouvoir entrer dans sa sphère et créer une relation durable. Certains clients me suivent depuis très longtemps parce qu’ils apprécient ma personnalité. Cette relation de confiance particulière m’a permis de vivre des moments extraordinaires.
Par exemple ?
D.C : Je n’oublierai jamais le jour où nous avons servi une bouteille de Château Yquem 1893 à l’un de nos clients. Cet Américain était tellement heureux que l’on s’occupe de lui qu’il a tenu à nous en verser un petit verre. Laurent, le chef sommelier, et moi, avons vécu un moment de communion extraordinaire ! Voilà la quintessence de ce qui me fait aimer ce métier : le partage, l’échange. Si nous apportons beaucoup à nos clients, nous apprenons également beaucoup d’eux. Et franchement, recevoir ou échanger autour de mets exceptionnels, ça fait un bien fou, non ?
Propos recueillis par Patricia Khenouna
(*) 14ème édition des Trophées de la gastronomie et des vins organisé par Le Progrès et l’association des Toques blanches lyonnaises, octobre 2022.
Denis Courtiade est également Président-Fondateur de « Ô service – des talents de demain », une association gérée par et pour les professionnels des métiers de l’accueil et du service dans la restauration-hôtellerie. Elle est ouverte aux formateurs, enseignants et étudiants de la filière qui ont à cœur de promouvoir les Arts de vivre à la française.
Trois livres parus :
- « L’hospitalité et le mentorat » (Ed. BPI, 2022) ;
- « Pour vous servir » (Ed. Alision, 2019) ;
- « Management : hôtellerie-restauration (Ed. Foucher, 2019).
crédit photo : ©BOBYALLIN